Leur périple raconté au Festival du film de montagne de Banff

Quand la caméra s’allume, tout ce que je vois c’est un sourire. Nicolas me fixe, heureux d’être là, assis au chaud dans son salon, prêt à me raconter son histoire. Une histoire longue de 7 600 kilomètres.

Nicolas et Guillaume viennent du quartier Limoilou à Québec. C’est au camp Kéno de Portneuf qu’ils ont goûté pour la première fois au canot-camping. C’est là aussi qu'ils ont appris à se dépasser et ont compris ce qu’était la persévérance.

Arrivés dans la vingtaine, les gars se cherchaient un projet. Ils voulaient faire une expédition de plusieurs mois au Canada, mais ils ne voulaient pas faire comme tout le monde.

Il y a trois ans, ils font la rencontre Noah Noggasak, un Inuk du Labrador. Il leur a dit : « Les boys, si vous voulez vraiment faire quelque chose de rafraîchissant et d'original, vous devriez essayer de traverser le Canada dans l'axe nord-sud. » L’aventure était née !

« Le Canada a été traversé de long en large, d’est en ouest et vice-versa, mais jamais dans l’axe nord-sud. » - Nicolas Roulx, aventurier

L’objectif de l'expédition AKOR était de traverser le Canada en partant de l'île d'Ellesmere au Nunavut, qui est le point le plus au nord, et de se rendre jusqu'à Pointe Pelée en Ontario, qui est le point le plus au sud, et ce, à force humaine.

« On l’a fait pour le fun, pour voir du pays, pour évoluer et se dépasser en tant qu'humain. On l’a fait pour devenir une meilleure version de soi-même au final. »

Durant ce périple de 7 600 km réalisé en 234 jours, les gars en ont vu de toutes les couleurs. Pour réaliser l’irréalisable, trois moyens de déplacement étaient nécessaires. Tout d’abord le ski, ensuite le canot et finalement le vélo. En franchissant la ligne d’arrivée imaginaire, ils avaient accompli l’équivalent de 180 marathons !!! Ouch !

PREMIÈRE ÉTAPE : LE SKI

La portion la plus pénible et celle qui les a le plus confrontés à eux-mêmes de leur vie.

Point de départ : 80e parallèle à 1 300 km du pôle Nord. C’est un désert de glace et la température au thermomètre affiche -35 °C.

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« Mentalement et psychologiquement, il y a aussi eu des moments très, très sombres. Parce que tu te retrouves inévitablement avec toi-même. »

Durant 64 jours, ils ont avancé, un pas à la fois, en tirant un traîneau sur de la neige qui refuse de coopérer. Ils ont avancé malgré les immenses monticules de glace de plusieurs mètres de haut qui se dressaient devant eux, malgré les blizzards, les blessures, les zones d'eau ouvertes qu’il fallait contourner. Ils étaient loin de la petite marche en forêt, « mettons » (même s’il n’y avait pas d’arbres) !

« Il ne faut pas s'imaginer que c'est du ski de fond, là, avec une glisse. C'est zéro comme ça. C'est comme marcher, mais avec des skis dans les pieds. »

Nicolas me raconte qu’au tout début de l'expédition, dans son masque de ski, à marcher face au gros vent, il s’en voulait de s’être embarqué là-dedans. Il ne voyait pas le bout de l'aventure. Il se demandait même s’il allait être capable d'arriver au bout de la première étape. À l'écouter, ça m'a fait penser à cette citation de Robert Frost.

« J'étais au milieu de la forêt, il y avait deux chemins devant moi, j'ai pris celui qui était le moins emprunté, et là, ma vie a commencé. »

Je me suis amusée avec Nicolas en lui demandant de me raconter, pour chaque portion de l’aventure, quel était son moment citron (le plus pénible), son moment chocolat (le plus chouette) et son moment banane (le plus drôle). Voici ce qu’il avait à dire !

MOMENT CITRON

Les ours polaires. La rencontre, et de loin, la plus marquante. L’ours devait se trouver à dix mètres, la gueule un peu ouverte, la langue sortie, le corps en position d’attaque. Rien de très rassurant. À ce moment-là, Nicolas me dit que ça va vite dans sa tête, « tu es sur le gros stress ». Guillaume est derrière avec son arme à feu, prêt à tirer. Des ours polaires, ils en ont vu une quinzaine.

« On s'est aussi fait charger par un bœuf musqué qui ressemble à une espèce de grosse chèvre poilue qui semble venir d’une autre époque. Il s'est mis à nous courir après. Il a fallu se sauver au sprint. Alors des fois, tu te demandes comment ça va finir. »

MOMENT CHOCOLAT

« Les matins. Quand tu ouvres la tente, qu’il fait -30 °C et que tout ce qu’il y a à voir, c’est de la glace. De la glace de toutes les couleurs; blanche, grise, bleue, transparente. C’est un désert de glace qui t’entoure, bercé par la lumière unique de l’Arctique. »

« Les paysages ne sont pas grandioses, c’est juste de la glace. Mais le simple fait d’y être, d’être témoin de la beauté de ce territoire, on se sent extrêmement privilégié. »

MOMENT BANANE

« L’hygiène personnelle (rire). Il fait -35 °C et tu dois être créatif pour faire ce que tu as à faire en tant qu’Homo sapiens sans te geler les doigts (rire). »

« Et parfois des moments intimes deviennent des moments sociaux et ça donne des situations très très comiques. »

DEUXIÈME ÉTAPE : LE CANOT

Être de passage sur un territoire occupé depuis des milliers d’années.

Les gars ont pagayé sur un circuit de rivières, puis de lacs glacés, à contre-courant, pendant à peu près 1 000 km. Des lacs immenses, comparables au lac Saint-Jean, avec des vagues de deux mètres d’amplitude. C’est à ce moment-là que tu t'aperçois qu'il y a beaucoup de choses qui te passent par la tête dans ce genre de situation. Genre, si je chavire, c’est la fin. L’eau est à 3 ou 4 °C, il y a de grosses roches partout et tu ne peux pas vraiment accoster. Tu prends conscience de ta solitude et c’est très spécial.

« Une légère erreur d'inattention peut avoir des conséquences mortelles. Donc, oui, on a eu très souvent peur. »

MOMENT CITRON

« Tous ces jours où on s'est retrouvés cloués dans la tente à cause des tempêtes de vent. Tu ne peux pas pagayer alors tu restes caché. Et puisque tu ne sais pas pendant combien de temps tu vas rester immobile, tu économises la nourriture. »

« Tu manges deux repas sur trois. Tu sais que tu as des barres tendres dans ton sac ; tu sais que tu as de la bouffe partout dans tes bagages, mais tu ne peux pas en manger. »

« Parce que chaque jour qui passe et que tu n'avances pas est une journée perdue. Ça mine le moral. Tu te sens comme un homme des cavernes. Nicolas et Guillaume ont trouvé ça très dur psychologiquement. »

MOMENT CHOCOLAT

« C’est quand on tirait notre canot sur la banquise, sur l’océan Arctique en train de fondre. D’observer un petit caribou qui s’aventure sur la glace et de prendre conscience que tu fais partie du territoire, à ce moment-là. »

« Un de nos rêves, c'était de vivre dans l’Arctique une transition de l’hiver à l’été live. Et on l'a fait. On a vécu en canot l’hiver à 100 % et l’été à 100 %.»

« Le canot est le mode de transport le plus polyvalent qui existe sur Terre. Tu peux le transporter sur ton dos. Tu peux le tirer sur la glace. Tu peux pagayer pour aller plus loin. C'est magnifique de constater qu'on est capable de faire tout ça avec un seul et même objet. »

TROISIÈME ÉTAPE : LE VÉLO

La partie la plus facile de l'expédition

Après avoir affronté toutes les conditions météorologiques inimaginables, Nicolas et Guillaume entamaient la portion à vélo. Mais une surprise les attendait.

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« En Ontario, il neigeait. On avait le goût de s'arracher les cheveux de sur la tête. Ça fait 220 jours que tu es en expédition, et là, l'hiver revient (rire). C’est assez insolite et inédit comme aventure. »

MOMENT CITRON

L’autoroute transcanadienne. Circuler sur ton vélo, sans voie d’accotement avec les voitures et les gros camions qui te passent sur le bord des oreilles, c’est ultra stressant. C’est un méchant lâcher-prise quand tu dois faire 100 % confiance aux véhicules qui arrivent derrière toi.

« Ça prend un idiot qui texte au volant, puis ça se transforme en partie de bowling tragique. »

La traversée de Winnipeg, entre autres, est le pire moment pour les cyclistes. C'est un véritable cauchemar et l’autoroute est excessivement dangereuse.

MOMENT CHOCOLAT

La portion vélo a duré 44 jours. Ce qui était magique, c'est que les gars pouvaient dormir dans des motels. Un lieu dont ils avaient tant rêvé durant les moments les plus pénibles en ski et en canot.

« Pendant l'expédition, durant 100 jours en ligne, nous n’avons pas dormi dans un lit. Pas une seule fois. Alors tu peux t'imaginer que le premier motel qu'on a atteint, c'était le paradis sur terre. Littéralement. »

MOMENT BANANE

« Ce sont toutes ces fois où l’on rencontrait des gens dans une épicerie ou un dépanneur d’un village et qu’ils nous demandaient : " Where do you guys come from ? " Et de répondre : “combien de temps tu as ?” (rire.) »

Tu ne peux pas dire que tu viens du pôle Nord, ils ne comprennent pas.

« Début novembre, on était à 500 km de notre point d'arrivée. Cinq jours de vélo, ce n'est rien. Les gens nous disaient : Vous allez à Pointe Pelée ? Wow ! C'est loin ! Et nous de répondre : Ah ! Si vous saviez ! (rire) »

CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Durant leur séjour, Nicolas et Guillaume ont été aux premières loges du réchauffement climatique. Par exemple, sur leur itinéraire, il devait emprunter le détroit de Barrow situé près du 75e parallèle. En temps normal, les gens traversaient le détroit en motoneige jusqu’en juin. Par contre, dans leur situation, le détroit a commencé sa débâcle au début du mois de mars. Prisonniers au milieu de nulle part, ils ont dû organiser un transport, en avion, et faire un petit saut de crapaud d'environ 150 km. Un petit saut de rien du tout qui aura duré 20 minutes et qui leur aura coûté 5 000 dollars.

« La question sur les changements climatiques est beaucoup plus pertinente, quand on jase avec des Inuits qui vivent ces conséquences-là au jour le jour. Et quand on leur parle, on réalise qu'ils ont énormément de conséquences néfastes sur leur mode de vie. »

TRANSFORMATION

Parcourir tous ces kilomètres pendant 234 jours par ses propres moyens, ça te transforme un être humain. Leur périple a été, en quelque sorte, une longue méditation. Cela leur a permis d’avoir accès à des parties d’eux-mêmes, qu’ils ignoraient en temps normal. La vie va trop vite.

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« Être à ski, on est seul dans notre tête. En canot, après deux semaines, on n'a plus rien à se dire. Puis à vélo, c'est la même chose. Alors on passe énormément de temps avec soi-même. C'est très méditatif et, oui, c'est sûr, ça nous transforme. »

On peut dire que les gars ont eu le temps de faire des bilans. De penser à leurs bons et à leurs mauvais coups, de revisiter leur enfance, de faire la synthèse de leur propre vie. De faire un check-point qui est nécessaire dans une vie.

« Un grand défaut de notre société, c’est qu’on n'a plus le temps pour réfléchir. Se poser la question où est-ce qu'on s'en va, d’où on vient ? De simplement penser à soi. »

MAMAN… C’EST FINI

Les gars sont arrivés au bout de l'aventure le 8 novembre 2021. Ils ont finalement atteint leur objectif.

« C'est un peu galvaudé de dire que l’expédition AKOR est l'aventure d'une vie, mais dans notre cas, je ne pense pas qu'on va refaire une aventure aussi longue et aussi intense que celle-là. »

Et qu’est-ce qui leur a le plus manqué durant ces 234 jours selon vous ? Un café. De se lever le matin dans son lit, au chaud, et de se faire couler un bon café qui sent bon, savoureux, et de s’asseoir sur le divan et regarder le temps qui passe. Comme quoi le bonheur peut être d’une simplicité !

ET SI C’ÉTAIT À REFAIRE

« Je repartirai demain matin pour revivre l'aventure. Dans l'exacte même chronologie ; la même suite d'événements à 100 %. »

Ils ont laissé leur trace avec l’Expédition AKOR.

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